Éliminer les écarts en santé et promouvoir l’équité pour les Autochtones
Un nouveau consortium mise sur une meilleure formation en santé des Autochtones afin de mieux adapter les soins de santé à leur culture
Six ans se sont écoulés depuis la publication des appels à l’action en santé de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, et les facultés de médecine et de sciences de la santé canadiennes ont entrepris des démarches pour améliorer la formation en santé des Autochtones.
Certaines sont beaucoup plus avancées que d’autres.
Le consortium national pour la formation en santé des Autochtones a été mis sur pied plus tôt cette année pour accélérer le processus. « Le consortium a pour mandat d’échanger des pratiques et des politiques, d’assurer une collaboration entre les écoles et les organisations, et d’être inclusif », explique Lisa Richardson, MD, FRCPC, l’une des huit membres du comité exécutif du consortium.
Elle fait remarquer que certaines facultés de médecine canadiennes peinent encore à recruter une cohorte de dirigeants autochtones pour adapter les programmes et le contenu et aider les apprenants, alors que d’autres, comme l’Université du Manitoba, se dévouent depuis longtemps à la formation en santé des Autochtones et ont créé des instituts spécialisés en santé et guérison des Autochtones.

Dre Lisa Richardson (Photo soumise)
L’objectif premier des appels à l’action de la CVR consiste à combler l’écart en santé qui existe entre les Autochtones et les non-Autochtones du Canada. Marcia Anderson, MD, FRCPC, directrice exécutive des affaires universitaires autochtones de l’Institut de santé et de guérison autochtone Ongomiizwin et présidente du comité exécutif du consortium, fait observer que tous les secteurs de la société canadienne doivent mettre l’épaule à la roue. Selon la CVR, les écoles de médecine doivent offrir une formation aux professionnels de la santé pour mieux adapter les soins à la culture.
Les cinq organisations médicales nationales membres du consortium – à savoir le Collège royal, l’Association des médecins autochtones du Canada, l’Association des facultés de médecine du Canada, le Collège des médecins de famille du Canada et le Conseil médical du Canada – se sont déjà engagées à donner suite aux appels à l’action.
Soutenir les médecins autochtones
Ce sont majoritairement des médecins leaders autochtones qui ont conseillé les organisations médicales en ce qui concerne les enjeux auxquels se heurtent les Autochtones et les améliorations nécessaires.
« La restructuration d’un système déficient comporte son lot d’émotions, mais en tant que médecins leaders autochtones, nous sommes disposés à le faire, sachant que certaines conversations seront difficiles », indique la Dre Anderson.

La Dre Marcia Anderson (Photo soumise)
Les six médecins autochtones siégeant au comité exécutif du consortium travaillaient déjà avec des organisations nationales; une subvention fédérale de 4 millions de dollars a été accordée pour fournir l’infrastructure nécessaire.
« Que ce soit en raison du racisme systémique, du manque d’infrastructures locales ou du fait qu’ils sont sollicités de toutes parts, les médecins autochtones sont souvent débordés », avance la Dre Richardson.
Par conséquent le consortium a pour mandat d’améliorer le recrutement et le maintien en poste d’étudiants en médecine et de médecins autochtones, et de favoriser « le bien-être et l’épanouissement professionnel des médecins ». Forte de son expérience en mentorat, l’Association des médecins autochtones du Canada a pris l’initiative de gérer ce dossier.
On peut aussi compter sur la filiation. Ainsi, les membres du « matriarcat médical » autochtone autoproclamé (dont les cinq femmes médecins membres de la direction du consortium) mettent tout en œuvre pour apporter des changements.
« En temps de tourmente, nous nous épaulons; nous savons à quel point certaines situations peuvent être difficiles », admet la Dre Richardson.
La lutte contre le racisme défie la méritocratie
Le consortium mise aussi sur la lutte contre le racisme. La Faculté des sciences de la santé Max Rady de l’Université du Manitoba planche depuis deux ans sur sa politique de lutte contre toutes les formes de racisme, approuvée en 2020. Déjà diffusée dans d’autres facultés de médecine, elle pourra être adaptée selon le contexte.
La Dre Anderson a orchestré l’élaboration de la politique et elle souligne que la lutte contre le racisme est une tâche ardue et remplie d’émotions. Il faut discuter du concept du privilège — qui y a droit ou non — ainsi que des connaissances et des compétences qui sont réellement valorisées.
Selon elle, la lutte contre le racisme défie le concept de la méritocratie – théorie bien ancrée selon laquelle les écoles de médecine n’admettent que la crème de la crème – et confirme les écarts et le racisme structurel qui persistent.
« On a souvent l’impression que ce genre de discussions constitue une menace réelle pour l’identité sociale ou professionnelle. Nous demandons aux gens de reconnaître qu’ils entretiennent un système injuste pour pouvoir créer un système plus équitable et mieux en mesure de servir la communauté autochtone. »
Promouvoir l’équité en santé pour les Autochtones
Leslie Spillett, gardienne du savoir du consortium d’origine crie et métisse, connaît très bien les effets dévastateurs du racisme dans le système de santé canadien. Mme Spillett a collaboré avec un organisme communautaire de Winnipeg (Ka Ni Kanichihk) dans le cadre de l’enquête sur la mort de Brian Sinclair, il y a 13 ans. Autochtone doublement amputé, confiné à un fauteuil roulant et porteur d’un cathéter, M. Sinclair est décédé après une attente de 34 heures dans une salle d’urgence de l’Hôpital de Winnipeg, où il s’était présenté pour une infection de la vessie.
Même si plusieurs témoins ont évoqué le profilage racial qu’aurait subi M. Sinclair, Mme Spillett soutient que leur témoignage reposait sur des hypothèses qu’ils ne considéraient pas liées au racisme. Elle note aussi que les recommandations du rapport d’enquête évitent toute allusion au profilage racial dans la mort de M. Sinclair. En fait, la plupart des 63 recommandations portaient sur l’organisation des services d’urgence; la toute dernière suggérait que le personnel médical suive une formation obligatoire sur la sécurité culturelle.
Mme Spillett ose espérer que les gens sont aujourd’hui plus sensibilisés au profilage racial à l’endroit des patients autochtones, mais elle n’est pas convaincue qu’ils soient mieux traités pour autant. Elle continuera de revendiquer l’équité en santé pour les Autochtones en siégeant au consortium.

Mme Leslie Spillett avec sa petite-fille, Isabella (Photo soumise)
Comprendre les effets du colonialisme pour comprendre la réalité autochtone
Dans l’intervalle, beaucoup d’étudiants qui entrent à l’école de médecine ignorent à quel point le colonialisme a miné la santé et le bien-être des Autochtones.
« Durant un entretien téléphonique, le vice-doyen d’une école de médecine m’a confié que beaucoup d’étudiants en médecine n’ont aucune connaissance fondamentale au sujet des Autochtones du Canada. Il nous arrive souvent de devoir récapituler l’histoire et les politiques de base, comme la Loi sur les Indiens, reconnaît la Dre Richardson. C’est la base de la réalité autochtone. »
« L’apprentissage en classe est essentiel, au même titre que les activités de lutte contre le racisme menées avec les collèges professionnels et les organismes de soins de santé, ajoute la Dre Anderson. Comme une grande partie de la formation médicale a lieu en contexte clinique, il faut donc apporter des changements aux milieux d’apprentissage clinique complémentaires à l’apprentissage en classe pour atteindre nos objectifs. »
La clé du succès : agir à l’échelle locale
Selon la Dre Anderson, les stratégies nationales auront une plus grande influence si elles sont adoptées à l’échelle locale.
« Les membres du Collège royal qui sont affiliés à des écoles de médecine ou des milieux cliniques ont une occasion inouïe, voire la responsabilité, de s’investir à l’échelle locale pour apporter des changements au système et assurer l’équité des soins offerts aux Autochtones. »
La Dre Richardson espère être témoin « d’une reconnaissance raciale quelconque » — une sensibilisation aux effets du racisme découlant des inégalités sociales et économiques mis en évidence par la pandémie de COVID-19 et le mouvement Black Lives Matter.