Décoloniser la formation médicale et la pratique de la médecine grâce au leadership, à la recherche et à l’enseignement
Le Dr Lynden Crowshoe reçoit le Prix Dr Thomas Dignan en santé des Autochtones
La décolonisation est au cœur de tous les aspects de la carrière de Lynden (Lindsay) Crowshoe, MD, clinicien, éducateur et leader institutionnel, dont le calme et l’approche rationnelle sont porteurs de changement.
Membre de la nation Piikani, en Alberta, et directeur du Programme de santé autochtone à l’École de médecine Cumming de l’Université de Calgary, le Dr Crowshoe est le lauréat du Prix Dr Thomas Dignan en santé des Autochtones 2020 décerné par le Collège royal.
« Je prends la parole de manière à motiver les gens à penser différemment en les invitant à miser sur l’autoréflexion et la collaboration, plutôt qu’à perpétuer l’oppression et le conflit. Je peux ainsi les sensibiliser au savoir, aux façons de faire et aux modèles d’interaction autochtones. » – Dr Lynden Crowshoe
Le prix a été créé en 2014 en l’honneur du Dr Thomas Dignan, un Mohawk du territoire des Six Nations de Grand River, à Thunder Bay, qui prône sans relâche l’élimination des écarts en santé et les inégalités dans la qualité des soins prodigués aux Autochtones. Il consacre sa vie à l’amélioration de la santé des peuples autochtones au Canada et, en particulier, à la sensibilisation au racisme institutionnel, qui fait aussi partie du domaine d’action du Dr Crowshoe.

Dr Crowshoe (Photo fournie par le Dr Crowshoe)
Fondateur de l’Elbow River Healing Lodge
« Le racisme crée un préjugé qui favorise les concepts exclusivement occidentaux, au détriment d’autres bases de connaissances », affirme le Dr Crowshoe, fondateur de l’Elbow River Healing Lodge, une clinique de Calgary qui dessert les peuples autochtones. Elle est l’exemple parfait de ce qu’il est possible d’accomplir dans un esprit de décolonisation et d’inclusion.
Selon la Dre Cheryl Barnabe, collègue du Dr Crowshoe à l’École de médecine Cumming et à l’Elbow River Healing Lodge, la mission de la clinique consiste à « fournir des soins de santé intégrés et optimaux aux patients autochtones, et à favoriser l’accès à des ressources respectueuses des peuples autochtones. Ses principes directeurs sont l’établissement de liens, l’empathie, les approches dénuées de jugement, l’inclusion, la souplesse, l’autonomie et l’équité. »
Le Dr Crowshoe a réuni à la clinique d’Elbow River une équipe talentueuse composée de médecins, d’infirmières, de travailleurs sociaux, de diététistes, d’administrateurs et de chercheurs afin d’appliquer une approche de soins de santé novatrice. Il l’a mise au défi de contribuer à la lutte contre le racisme institutionnel, de se concentrer sur les causes premières des résultats actuels en matière de santé et d’intégrer au système de santé occidental des pratiques de guérison traditionnelles autochtones.
« La présence d’aînés sur place favorise une meilleure compréhension, précise le Dr Crowshoe. Il y a aussi le son des tambours et le parfum de la sauge incandescente. Tout ceci rappelle chaque jour à quel point la vision du monde et les pratiques traditionnelles autochtones contribuent au bien-être. »
La clinique est le fruit d’un engagement itératif avec la communauté, les patients, le personnel des soins de santé, le système de santé en général, et de nouvelles données probantes sur les systèmes de soins de santé primaires.
« J’ai senti que notre clinique devait respecter les priorités communautaires et s’inspirer des modèles de soins fondés sur les pratiques exemplaires, explique le Dr Crowshoe. Mon rôle était d’assimiler et de transmettre tout ce savoir, ce que j’ai fait, la plupart du temps, en m’entraînant au gymnase, où j’ai lu des articles, beaucoup réfléchi, établi des liens entre les idées et inscrit le tout sur papier, un processus cinétique. »
La clinique est aussi pour lui un lieu d’enseignement pour la prochaine génération de médecins et de leaders communautaires autochtones. Il est enseignant clinique auprès des étudiants de premier cycle et des résidents et organise des visites pour les étudiants autochtones du secondaire.
Décoloniser la formation médicale

Le Dr Crowshoe (à gauche) lors de la remise des diplômes aux étudiants autochtones, en mai 2019 (photo soumise par le Dr Crowshoe)
« Je pense que la décolonisation de la formation médicale se heurte à certains défis, dont l’espace – ou le manque d’espace – et le programme d’études, confie le Dr Crowshoe. Nous rivalisons avec les besoins d’autres domaines émergents, parce que nous élargissons toujours notre compréhension de la santé et des résultats en matière de santé. Plusieurs personnes veulent que leur domaine prenne leur place dans un programme d’études. »
Le Dr Crowshoe aborde ces défis par le truchement de la recherche et du leadership institutionnel. Sa longue et brillante carrière dans le domaine de la recherche sur la formation médicale a pour but d’améliorer la prestation de soins adaptés à la culture.
Il a participé à 58 projets de recherche subventionnés et examinés par les pairs, dont de récents projets financés par les IRSC, comme le Réseau de mentorat autochtone pour l’innovation en santé de l’Alberta, un réseau chargé de la recherche sur les politiques et les soins de première ligne en santé des Autochtones, un programme d’éducation en matière d’équité pour les soins aux diabétiques, un outil d’évaluation cognitive et de la démence pour les Autochtones, et un projet sur la prévention du suicide chez les jeunes autochtones au moyen du théâtre.
Le Dr Crowshoe met à profit son approche centrée sur le patient dans d’autres rôles de leadership institutionnel, dont celui de directeur médical, Siksika Health Services, et de responsable médical du Programme de santé autochtone de la région sanitaire de Calgary.
Des effets positifs évidents
Le Dr Crowshoe constate que des progrès sont réalisés à l’École de médecine Cumming.
Ses efforts pour l’avancement de la réconciliation à l’université sont fructueux : « Le Département de médecine interne a rapidement créé une chaire autochtone, après avoir entendu parler de notre processus d’engagement et de ses résultats, à la suite des recommandations de la Commission de vérité et réconciliation. De plus, le Département de perfectionnement du corps professoral est allé de l’avant en élaborant des ressources qui favorisent le leadership chez les enseignants dans une optique autochtone. »
« Un autre département axé sur l’engagement communautaire songe à créer un centre d’activités autochtone afin d’aider tous les départements de l’école de médecine à créer des contenus éducatifs en santé des Autochtones. »

Le Dr Crowshoe (deuxième à partir de la gauche) lors d’une rencontre de consultation des Aînés du programme de gardiens du savoir traditionnel en résidence, en janvier 2020 (photo soumise par le Dr Crowshoe)
Favoriser la résilience au moyen des arts
Dans le cadre de son rôle de clinicien, le Dr Crowshoe utilise le théâtre et la musique pour établir des liens avec les patients et les communautés, particulièrement avec les jeunes autochtones. Certaines communautés éloignées accessibles uniquement par avion l’ont surnommé le « médecin avec la guitare ».
« J’ai recours à diverses formes d’art, surtout le théâtre, pour ancrer les concepts et notions que les sciences sociales nous offrent, affirme le Dr Crowshoe, aussi membre d’un groupe de musiciens et chanteur. Ceci permet de les approfondir en groupe afin de faire comprendre les capacités et les forces requises pour éliminer le stress toxique qui empoisonne la vie des jeunes autochtones. »
Les résultats de la colonisation sont nombreux, explique-t-il, dont le stress intense. « Quelles formes de résilience avons-nous développées et dont nous pouvons tirer profit? Nous devons ensuite en discuter avec des intervenants pour les intégrer à des politiques. »
Exercer une influence sur l’élaboration des politiques
Selon le Dr Chris Sarin, médecin hygiéniste adjoint auprès de la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits de Santé Canada en Alberta, « le Dr Crowshoe fait preuve d’une capacité exceptionnelle à examiner un sujet complexe dans une perspective globale. Je m’adresse donc à lui lorsqu’on envisage de modifier des politiques ayant des répercussions sur les soins cliniques de la population autochtone de l’Alberta. »
Lorsqu’il s’agit de défendre une cause, le Dr Crowshoe obtient des résultats grâce à son calme et à son approche réfléchie.
« Bien entendu, je m’enflamme et je me mets en colère, dit-il en décrivant sa réaction à certains éléments du racisme institutionnel. Je prends la parole de manière à motiver les gens à penser différemment, en les invitant à miser sur l’autoréflexion et la collaboration, plutôt qu’à perpétuer l’oppression et le conflit. Je peux ainsi les sensibiliser au savoir, aux façons de faire et aux modèles d’interaction autochtones. »
« Il existe un lieu et un moment propice aux envolées tonitruantes pour mettre des enjeux en valeur, affirme-t-il, mais il vaut mieux aborder les choses différemment et aider les gens à mieux se connaître et à vaincre leurs préjugés. »
Le Dr Crowshoe a obtenu son diplôme de médecine à l’Université de l’Alberta en 1995 et est professeur titulaire à l’Université de Calgary.

Le Dr Lynden Crowshoe accepte le Prix Dr Thomas Dignan en santé des Autochtones attribué par la Dre Cheryl Barnabé (proposante principale) sur la plateforme Zoom, au centre d’activités autochtone de l’École de médecine Cumming. (Photo soumise)